Pour lutter contre la multiplication des recours qui freine les projets de construction, l’article L.600-1-2 introduit en 2013 dans le code de l’urbanisme a voulu limiter l’accès au juge administratif en définissant un intérêt à agir contre les permis de construire restreint aux cas dans lesquels « la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien que [le requérant] détient ou occupe régulièrement ou pour lequel [il] bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat [de vente d’immeuble à construire] ».
Dans un arrêt du 10 février 2016, le Conseil d’Etat a précisé l’application de ces dispositions en demandant aux requérants, y compris les voisins immédiats, qu’ils justifient l’atteinte subie du fait du projet en exigeant que « les écritures et les documents produits par l'auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d'être directement affectées par le projet litigieux » (CE, 10 février 2016, n°387507).
Il avait ensuite rappelé qu’il appartient respectivement :
- Au requérant de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ;
- Au défendeur d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ;
- Au juge d’apprécier la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes invoquées.
Dans cette précédente affaire, parce qu’ils s’étaient bornés à exciper de leur proximité avec le projet malgré la relance du Tribunal, les requérants avaient vu leur requête rejetée par simple ordonnance.
Dans un cas d’espèce parfaitement similaire, le Président du Tribunal administratif de Marseille a rejeté par cinq ordonnances pour irrecevabilité manifeste des recours déposés par des voisins d’un même projet qui n’avaient, malgré l’invitation du Tribunal, pas suffisamment justifié de leur intérêt à agir.
Toutefois, le Conseil d’Etat a censuré ces ordonnances (CE, 13 avril 2016, n° 389798, n° 389799, n° 389801, n° 389802, n° 390109).
Pour ce faire, la Haute Juridiction pose un nouveau principe propre aux « voisins immédiats » : « Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ».
En l’espèce, pour le projet contesté qui portait sur la construction de deux logements et d’une piscine et sur la démolition d’un garage et d’une clôture sur la même parcelle, les requérants ont fait valoir qu’ils subiraient nécessairement les conséquences de ce projet en terme de vue et de cadre de vie et de troubles occasionnés par les travaux dans la jouissance paisible de leurs biens, ce qui suffisaient pour le bénéfice de cette nouvelle présomption.
Ainsi, pour le Conseil d’Etat, des voisins situés respectivement à 72 mètres et à 51 mètres du terrain d’assiette du projet sont des « voisins immédiats » (CE 13 avril 2016, n° 389798 et n° 389802). Le « voisin immédiat » du projet n’est donc pas seulement le « voisin mitoyen » de celui-ci, ni même son « voisin le plus proche » puisque le projet contesté en l’espèce avait d’autres voisins plus proches.
Il reste donc à déterminer jusqu’à quelle distance du projet un voisin peut être qualifié de « voisin immédiat » et bénéficier de la présomption d’intérêt à agir. En outre, pour bénéficier de cette présomption il convient de faire état devant le juge d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction, sans toutefois connaître les limites exactes de cette obligation.
Cette exigence semble a priori très facilement satisfaite et le Conseil d’Etat pose ainsi une véritable présomption d’intérêt à agir pour le voisin immédiat.
Force est de constater que cette interprétation plus favorable aux requérants voisins immédiats des projets contestés vide d’une partie de sa substance et donc de son intérêt les dispositions de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme, dont le texte ne distingue pas les voisins immédiats des autres requérants.
Genesis Avocats
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